Les dommages de la bonne image

Et si cela expliquait certains sentiments de décalage ?

—–

NB : Vous trouverez en bas de l’article une image-résumé téléchargeable.

—–

Un vendredi soir du mois de mai, je dîne seule. Je décide de m’offrir un repas dans un joli restaurant, avec vue sur la verdure naissante du printemps. Ma semaine de travail a été chargée, j’y ai vu beaucoup de monde, j’ai besoin de passer une soirée en tête à tête avec moi-même et de me faire plaisir. Je m’installe à table avec un bon livre, juste à côté de la fenêtre. Lever la tête quand un oiseau passe ou regarder le vert des arbres imposants me ravit. Une femme souriante vient prendre ma commande. Elle la transmet aux cuisines. Je suis juste à côté de celles-ci. J’entends l’un de ses collègues, à la voix jeune, répondre « oh, c’est triste, la pauvre dame qui mange toute seule ». Mon expérience était la délectation… l’image que je renvoyais donnait lieu à un apitoiement. Quel décalage !

Il m’aura fallu près d’un an pour écrire ce texte. Mon intention était de proposer une réflexion sur les risques associés à une valorisation excessive de la bonne image. Les exemples que j’envisageais pour illustrer mon propos donnaient lieu à une mauvaise image d’une autre chose. Et en effet, au restaurant, ma première pensée a été un jugement négatif, agrémenté d’une pointe de colère, envers ce professionnel qui n’avait rien compris. Or, probablement pensait-il exprimer un propos compatissant ? Il est sûrement une « bonne » personne.

Tout comme il m’avait été difficile d’écrire sur l’égo*, il m’a été délicat d’écrire sur les dommages de la bonne image. Il semblerait qu’il ne soit pas simple d’écrire sur ce qui peut être clivé. J’ai ainsi pu constater, à l’écriture de cet article, que mon neurone social se demandait régulièrement : Est-ce que je risque de blesser quelqu’un ? Ou d’impacter négativement mon travail ? Est-ce que les lecteurs vont apprécier ? Et tutti quanti… En réponse au « bien faire », le risque d’« un peu mal faire ».

Quand on écrit sur la (bonne) image, on écrit forcément – aussi – sur la bonne image de soi / des autres… Et sur la mauvaise.

Malgré ces difficultés, j’ai fini par publier cet article, en espérant qu’il soit aussi nuancé, modéré, que possible… Cela me donnerait sûrement une bonne image de moi-même ! 🙂

 

Pour commencer, je souhaite partager une grille de lecture simplifiée de la façon dont l’on peut envisager les choses autour de la notion d’image (au sens ici d’image mentale, de représentation*) :

Nous vivons, chacun, moult expériences quotidiennes. Chaque seconde qui s’écoule donne lieu à un ensemble d’informations sensorielles, perceptives, sociales et autres, qui cheminent jusqu’à notre cerveau, où elles sont traitées. De ce traitement de l’information, résulte une foultitude de vécus, d’émotions, de pensées, de comportements, de trucs en tout genre, etc. Toute une machinerie qui s’active. Lorsque nous rencontrons une autre personne (symboliquement, via un média par exemple, ou concrètement), nous tentons parfois de partager cette expérience interne que nous vivons. Ceci se fait par les mots, l’attitude, le non-verbal, parfois par des supports, etc. Ce qui en résulte est un résumé.

Le partage à autrui de notre expérience la résume toujours. L’on pourrait dire que ce partage donne une représentation, une image, de notre réalité.

Et, inversement, quand nous écoutons la réalité ou l’expérience d’autrui, cela passe aussi par la moulinette de notre propre perception, qui elle-même traite – et donc déforme – les informations ainsi reçues. Autrement dit : 

Accueillir l’expérience d’autrui, c’est en percevoir une image plus ou moins déformée.

Il y a donc toujours un décalage – plus ou moins grand, plus ou moins palpable – entre l’expérience et l’image de cette expérience.

L’image est donc un ensemble d’informations perçues, qui se mélange aux représentations sociales et culturelles des groupes dans lesquels nous évoluons, et se mélange aussi à notre histoire de vie et à notre éducation qui conditionnent notre rapport aux choses.

Ainsi, lorsque nous tentons de partager notre expérience ou, inversement, de comprendre l’expérience d’une personne, nous la comprenons à travers un jeu d’images, de représentations. Il y a celles qui apparaissent spontanément à notre esprit, celles qui nous ont été transmises, celles auxquelles nous croyons et celles auxquelles nous ne pouvons pas croire, il y a l’image de soi qui conditionne celle que nous donnons aux autres, il y a l’image que nous avons d’autrui, etc. Et enfin, il y a la façon dont nous considérons toutes ces images : les percevons-nous fixes, en mouvement, en évolution, en régression ? Leur accordons-nous une valeur de vérité ou pas ? Etc.

Afin de clarifier, je propose une illustration : Dans ce schéma, l’expérience du premier personnage sera toujours un peu différente de l’image perçue par le second.

Prenons l’exemple d’un(e) collègue qui arrive euphorique au travail et titubant. En fonction de nos représentations personnelles et sociales, nous allons peut-être penser que cette personne : a entendu une bonne blague / a trop bu / vient de recevoir une demande en mariage / traverse un stress intense qui génère un rire nerveux / autre chose encore ? 

Prenons l’exemple d’une personne traversant une crise émotionnelle. En fonction de nos représentations personnelles et sociales, nous allons peut-être penser que cette personne : fait un caprice / a une incapacité à gérer ses vécus / a un problème de santé ou une surcharge sensorielle / traverse un burn-out / voit ses limites être dépassées sans cesse / autre chose encore ?

Un même fait peut donner lieu à diverses images.

Inversement, nous sommes actuellement confrontés à une masse importante d’actualités, d’informations, de photos et vidéos dont nous abreuvent les réseaux sociaux ou les médias en général : ils nous partagent une information sélectionnée, partielle, différente de l’expérience réelle. Ils nous partagent donc une série d’images, qui conditionnent la représentation globale que nous allons avoir d’un événement ou d’un phénomène. Par de savants biais internes, souvent interprétatifs, nous sommes parfois convaincus que comprendre cette image revient à comprendre ce qui se passe réellement sur le terrain. Mais retrouver l’expérience réelle à partir de l’image perçue reste difficile. En effet :

Une même image peut correspondre à plusieurs réalités.

Percevoir l’image d’une réalité et comprendre cette réalité sont deux choses très différentes.

Nous vivons dans une société de l’écran. Nous passons bien plus de temps que les générations précédentes à tourner notre attention vers des images qui se figent ou défilent sur l’écran de notre téléphone, de notre ordinateur, de notre téléviseur. Plus que jamais, nous stimulons les neurones de notre cerveau destinés à traiter les informations issues des images. Je fais l’hypothèse qu’ainsi, nous renforçons les jeux d’images et nous devenons moins conscients des réalités expérientielles qui se cachent derrière. Sans même nous en rendre compte.

 

Il en est de même lorsque nous cherchons à cultiver une bonne image…

Lorsque nous cherchons à cultiver une bonne image, nous cherchons à orienter vers le positif ce qui est perçu par autrui. Et ce, bien que la réalité soit souvent plus nuancée, plus complexe.

Il me semble que c’est ce que nous nommons : la publicité ! 🙂

Quand j’étais enfant, une publicité passait à la télévision. Elle m’intriguait beaucoup. Une personne montrait un vêtement blanc très sale, le plongeait dans un bac rempli d’eau et de lessive et, en quelques secondes, le vêtement ressortait d’un blanc immaculé. Combien de fois, dans ma tête d’enfant, me suis-je demandé comment cela pouvait-il fonctionner ? Je me souviens avoir finalement testé … un vêtement sale dans un bac rempli avec la lessive que nous avions à la maison. Quelques secondes. Le vêtement ne ressortait pas immaculé. Deux explications possibles : notre lessive manquait d’efficacité (= « mauvaise » efficacité en contraste à la « bonne » efficacité mise en image dans la publicité) ou c’est moi qui n’avais rien compris (= dévalorisation en contraste à la bonne image de la publicité). La réponse était ailleurs : l’image transmise par la publicité ne correspondait pas au réel de l’expérience, il y avait un décalage entre l’un et l’autre.

NB : L’une des personnes qui a relu mon écrit avant publication m’indique qu’il y avait un « avertissement » au bas de la publicité, précisant la durée réelle de lavage… Avertissement bref, écrit en plus petit… qui prend donc une place restreinte dans l’image… la lessive miracle prenant une place bien plus grande … je vous laisse mesurer l’impact sur la représentation globale perçue 

Dans tous les cas, entre un décalage (très certainement) choisi comme dans la publicité ou un décalage subi comme lors de mon expérience au restaurant, la question se pose : 

Cultiver une « trop » bonne image pourrait-il parfois induire des conséquences négatives, délétères ? Et ce, d’autant plus dans une société où nos yeux et nos oreilles sont si souvent tournés vers l’image d’écrans ?

Nous vivons en effet dans une société où « bien faire » devient souvent « bien paraitre », sans même que nous nous en rendions compte. Nous vivons dans la société de la valorisation, de l’image positive. Nous vivons dans l’aire des réseaux sociaux où nous regardons si nous avons des pouces en l’air, des cœurs ou d’autres réactions. Nous vivons dans un monde où, devant nos écrans, nous comparons davantage notre expérience (processus de perception interne) à l’image que nous avons de l’expérience d’autres personnes (processus de perception externe). Ce faisant, nous nous habituons à comparer deux choses qui ne sont que très difficilement comparables. Nous comparons des choux et des carottes 🙂 Nous tentons un rapprochement entre notre propre expérience d’une part et, d’autre part, des images (et non pas à une réalité), souvent partielles ou déformées, qui transmettent un idéal de plus en plus inatteignable. 

Je propose quelques illustrations des dommages possibles de la bonne image…

C’est l’histoire de Vincent qui a posté son CV en ligne et multiplie les entretiens avec des entreprises qui seraient « ravies de travailler avec quelqu’un d’aussi qualifié ». Boosté par l’image valorisante renvoyée par ces contacts, Vincent se rassure : il trouvera rapidement un emploi. Euh… oui, mais quelques mois plus tard, Vincent n’est toujours pas rappelé pour un poste, il se dévalorise.

  • La bonne image peut-elle, parfois, nous rendre aveugle à la douleur que peut causer le décalage entre la valorisation énoncée et l’expérience réelle souvent plus nuancée ?

C’est l’histoire de Jeanette, qui demande à sa voisine si elle accepterait de préparer un gâteau au chocolat, et de sa voisine qui veut trop bien faire et s’imagine déjà la satisfaction de Jeannette quand elle découvrira sa petite surprise : elle a ajouté des agrumes au chocolat. Euh… oui, mais Jeannette est allergique aux agrumes !

  • La bonne image peut-elle, parfois, nous rendre aveugle au décalage entre ce que nous faisons et ce qui a été convenu ? Aveugle aussi aux conséquences de nos attitudes sur autrui ?

C’est un couple qui a appris à « bien » communiquer… Ce faisant, les émotions sont contenues, les mots sont choisis… jusqu’à ce qu’un événement plus déstabilisant que les autres surgisse dans leur vie : une dispute éclate, chacun tente maladroitement d’utiliser ses bons outils de communication, cela ne fonctionne pas… L’attention à la formulation détourne de la résolution du problème. La dispute n’en finit pas !

  • La bonne image peut-elle, parfois, nous entraîner dans une quête d’amélioration excessive, de perfectionnisme, qui nuit à l’authenticité et éloigne de l’objectif ? (faux-self)

C’est l’histoire d’Andréa, en surcharge en emploi. Sa supérieure se dit très bienveillante*, elle dit à Andréa qu’elle doit surtout prendre son temps et faire ce qu’elle peut … mais lui demande, chaque jour et avec le sourire, où elle en est dans ses dossiers. Andréa est confuse.

  • La bonne image peut-elle, parfois, entrainer un message paradoxal (= décalage entre les mots et les comportements ou décalage entre deux propos différents), source de confusion et d’incompréhension ?

C’est l’histoire de Paul, qui s’énerve des personnes toujours en retard. Lui, il est toujours à l’heure. Mais … Parfois, le bus de Paul ne passe pas. Il prend le suivant, arrive en retard. « C’est le bus qui n’est pas passé ». Paul se dit : « je ne suis pas en retard. Le bus, il l’est, oui.

  • La bonne image peut-elle, parfois, nous rendre moins conscients de nous-mêmes, ici moins conscients de notre incohérence interne ?

C’est l’histoire de Dominique, qui créé un profil sur un site de rencontre, mettant en avant toutes ses qualités et usant de tous les artifices de la séduction. Je vous laisse imaginer la suite…

  • La bonne image peut-elle, parfois, se transformer en un message mensonger ?

Et tutti quanti…

Le point commun de toutes ces situations est : 

L’image est le lieu de l’idéal. L’image ce n’est pas « bien faire », c’est vouloir MONTRER qu’on fait bien. Ou montrer qu’on est bien. A soi ou aux autres.

Et il y a toujours un décalage entre l’idéal transmis par la bonne image d’une part, et la complexité du réel d’autre part. 

Lorsque nous côtoyons une bonne image, nous ne mesurons pas toujours que nous côtoierons, aussi / parfois, un vécu inconfortable ou douloureux, à court terme ou à plus moyen terme. Quand la stimulation liée à la valorisation et à l’espoir se tasse, laissant place à la réalité plus nuancée de l’expérience, le vécu inconfortable peut émerger (déception, chagrin, frustration, etc.). Alors, pour nous protéger de l’inconfort, nous rejetons parfois notre réalité ou nous rejetons ce qui (ou celui / celle qui) a déclenché notre expérience… lorsqu’il serait sûrement plus utile de prendre conscience de ce phénomène d’image, afin de le nuancer d’emblée.

En vie sociale, c’est l’exemple de certaines assurances qui valorisent leur image en faisant des dons contre le cancer, tout en refusant d’assurer les personnes qui en souffrent. C’est l’exemple du décalage entre une certaine promotion / idéalisation de l’inclusion sociale et la difficulté concrète à nous inclure les uns les autres dans un monde si complexe. C’est l’exemple de certaines revendications qui confondent esprit critique (connoté positivement) et critique (connotée négativement). C’est l’exemple de certaines insatisfactions ou jugements à l’égard de professionnels, dont nous condamnons d’emblée le comportement sans avoir expérimenté les contraintes du métier (la bonne image se cache ici dans le comportement plus idéal attendu). C’est aussi valoriser un groupe social (minoritaire ou majoritaire), sans mesurer que, ce faisant, nous dévalorisons / excluons parfois un autre groupe social (minoritaire ou majoritaire). Et tutti quanti… 

En vie plus personnelle, c’est par exemple et pensant « bien faire », dire à une personne souffrant de dépression qu’un peu de sport lui fera du bien, sans se rendre compte que cela peut augmenter son vécu d’impuissance. C’est dire à une personne, « pour l’aider », qu’elle devrait manger de telle façon pour prendre un peu de poids ou en perdre, sans forcément connaitre ses contraintes métaboliques ou sa souffrance. C’est lorsque nous décidons d’une chose pour une personne, sans mesurer qu’elle aurait aimé décider pour elle-même. C’est demander à une personne ayant un handicap ou un trouble psychique de fournir tel effort « pour son bien », sans mesurer que c’est déjà ce qu’elle fait depuis longtemps. Et tutti quanti…

C’est aussi mon propre exemple : avec la rédaction et la publication de ce texte sur mon site internet et sur les réseaux sociaux (et avec toutes mes autres publications), me voilà destinée à me situer dans la sphère de l’image, tentant de trouver un équilibre entre bonne image et objectivité, toujours avec la même question :

Que se passe-t-il lorsque nous plaçons dans la sphère de la (bonne) image des éléments de la psychologie, de la psychothérapie et des fonctionnements Humains ?

A l’aire des réseaux sociaux, en tant que personne ou en tant que professionnel, nous devenons experts en publicité… Une publicité préalablement passée à la moulinette de la bonne image… plus ou moins. 

Quand nous plaçons l’Humain et tout ce qui s’y rattache dans la sphère de l’image, en tentant de transmettre une bonne image, quels dommages avons-nous la possibilité de causer ? Risque-t-on de simplifier les choses, de les dénaturer et, ainsi, de transmettre des informations fausses, délétères pour les personnes et pour leurs cheminements ? Risque-t-on de valoriser certains troubles (connotés positivement dans l’espace publique, médiatique) au détriment d’autres troubles (connotés plus négativement dans ce même espace) ? Risque-t-on de juger plus souvent les différences de pratiques ? Risque-t-on de fragiliser les identités avec l’idée qu’il y a de « bonnes » façons de fonctionner / d’être … et – donc – de moins bonnes ? Quelles sont les limites à l’injonction dite bienveillante de « d’abord penser à soi » : quid des autres ? Risque-t-on de créer des clivages entre groupes sociaux ? Ou des déceptions / des culpabilités personnelles, lorsque les promesses idéalisées du développement personnel ne peuvent être atteintes ? Il me semble utile de prendre conscience de ces effets d’images, afin de limiter ce que nous cherchons à éviter : la souffrance des personnes. Et une autre chose m’inquiète un peu :

Beaucoup d’entre nous refusent le monde narcissique qui se déploie devant nous et, pourtant, sans nous en rendre compte, nous l’alimentons dès que nous cherchons à cultiver en excès une bonne image, à user de valorisations excessives, lorsque nous faisons – sans le savoir – de la publicité. Paradoxe difficile à détricoter.

 

Pour finir cet article, je souhaiterais aborder un sujet qui me tient très à cœur : 

Est-ce que la valorisation excessive de la bonne image pourrait contribuer à expliquer l’importance du vécu de décalage et de solitude que nous ressentons parfois ? souvent ?

Je n’ai pas lu d’études sur ce sujet, ma réflexion manque donc probablement d’objectivité. Toutefois, j’ai le sentiment que nous sommes de plus en plus nombreux à éprouver un vécu de décalage (de plus en plus grand) par rapport à une certaine norme sociale inatteignable. Nous nous sentons « incompris », et donc « différents », « décalés » de tous les autres. Parfois, c’est un fait, nous avons un décalage avec la majorité, du fait de notre fonctionnement, de notre histoire de vie, des expériences traversées, d’une difficulté à nous intégrer… D’autres fois, ce vécu de décalage pourrait-il être une impression ? Ou le mélange d’un fait et d’une impression ?

Se pourrait-il que notre sentiment de décalage soit – au moins partiellement ou parfois – issu d’une différence, d’une discordance, entre notre propre vécu et la représentation que nous avons du vécu d’autrui ?

Rappelez-vous : nous sommes plus souvent connectés à nos écrans, donc abreuvés d’images, lieu des idéaux. Or qu’advient-il quand, sans nous en rendre compte, nous nous comparons trop souvent à un idéal inatteignable ? Peut-être que, pour certains de nous, il advient un vécu de décalage, le sentiment d’être différent, incompris, isolé, seul. Qu’advient-il également lorsque les différences individuelles sont valorisées plus qu’il ne le faudrait, quand l’unicité de l’individu et sa différence par rapport au groupe de référence sont renforcées à l’excès ? (plutôt qu’accueillies tranquillement ou avec empathie*). Il me semble qu’il pourrait advenir une séparation entre l’individu et le groupe, séparation contribuant à un sentiment de décalage et à un vécu d’isolement, qui renforcent les questionnements individuels, créant ainsi un cercle vicieux inextricable.

De même dans la sphère plus personnelle. Nous ne sommes pas toujours en relation les uns avec les autres : souvent, nous sommes en relation avec l’image que nous avons des autres personnes. Et il y a toujours un décalage entre la façon dont le cerveau traite une expérience propre (interne / intime) et la façon dont le cerveau traite ce qui vient de l’extérieur (externe / perceptif). Les circuits cognitifs impliqués sont différents. Pourtant une part de nous-mêmes (notre égo ?* notre comparateur social ? autre chose ?) compare les deux. Nous comparons le ressenti de notre expérience propre avec la perception de l’expérience d’autrui / de plusieurs autres / de la norme sociale bien difficile à définir. Nous comparons un ressenti interne avec une image externe, en espérant qu’elles coïncident suffisamment. Lorsqu’elles ne coïncident pas, nous éprouvons un vécu de décalage, d’être incompris, de solitude. Autrement dit : parfois (pas toujours), notre sentiment de décalage est issu d’une erreur logique inconsciente qui nous pousse – rappelez-vous – à comparer des choux et des carottes :-), avec l’espoir qu’ils aient le même goût. Cela nous isole, ce qui a pour effet l’accentuation du vécu de décalage. 

Et voici une petite illustration pour clarifier :

Parfois, pour augmenter la probabilité d’être compris, nous essayons de communiquer notre expérience de façon plus précise et plus exhaustive. J’ai moi-même tenté, pendant des années, de communiquer avec exhaustivité, inconsciente de ce phénomène d’erreur de comparaison. Je me sentais à la fois frustrée car je percevais toujours un décalage entre mon vécu interne et ce que mon langage en communiquait. Et surtout, je n’étais pas toujours mieux comprise, ce qui avait tendance à augmenter mon sentiment d’isolement.

A noter également que, plus nous éprouvons un vécu de décalage, plus notre attention se porte essentiellement sur ce qui nous différencie d’autrui, rarement sur ce qui nous en rapproche. Or, nous avons toujours des points communs avec autrui (nous sommes tous des Humains), de même que nous avons toujours des différences (chacun est absolument unique). Plus ou moins.

Ici réside un espoir : Nous pouvons apprendre à repérer l’erreur de comparaison afin de focaliser sur ce qui nous rapproche des autres… ou de certains autres.

Et si notre décalage est un fait, apprenons à l’assumer, à l’affirmer tranquillement, en conscientisant l’image que ce décalage peut renvoyer et en tentant, au mieux, de rester liés à notre Humanité collective.

Pour conclure, comme souvent, j’ai l’envie de nous inviter à cultiver une conscience de soi. Peut-être est-ce ok parfois de cultiver une bonne image ? Lorsque cela a pour fonction de s’intégrer à un groupe (vécu d’appartenance), de décrocher un emploi, de plaire à quelqu’un, de favoriser une cohésion d’équipe, etc. Peut-être parfois est-ce ok de cultiver une image plus négative ? Lorsque cela a pour fonction de se confier, d’être compris, de se protéger, etc. Il est parfois utile de consentir au fait de renvoyer une mauvaise image, afin de se libérer d’une relation délétère par exemple. Peut-être peut-on parfois éviter de se placer dans l’image, en gardant dans la sphère intime ce qui doit y rester ? Peut-être peut-on aussi, parfois, jouer avec l’image que nous renvoyons : quel plaisir à transformer une expérience dont nous avons un peu honte en image amusante ! (par exemple : ma voiture est pleine de rayures car elle aime câliner les poteaux ! 🙂 ). Et peut-être pouvons-nous également faire côtoyer toutes ces images – bonnes, mauvaises ou autres – sans chercher à trop les contrôler… afin d’honorer la richesse de notre expérience de Vie.

Nous ne pouvons pas ne pas renvoyer une certaine image sociale… alors, du mieux que nous le pouvons, tentons d’être aussi conscient que possible de celle-ci.

Et … quand nous tentons de transmettre une « bonne » image, peut-être pourrions-nous réfléchir, aussi, aux éventuels dommages que cela peut causer ? Afin de nous rappeler que nous sommes – tous – des gens imparfaits. 

Parce qu’alors le vécu d’appartenance à ce grand groupe Humain, dont nous faisons tous partie, pourrait-il peut-être reprendre le dessus sur le vécu de décalage ? Vers un peu plus de solidarité.

NB : A plusieurs reprises au cours de la rédaction de cet article, j’ai été tentée d’utiliser l’IA (Intelligence Artificielle) pour retravailler certaines tournures. J’ai pu faire le même constat à chaque fois : les mots et la formulation étaient plus « jolis » (une plus belle image), le sens et l’intention que je souhaitais donner à mon propos étaient modifiés (un contenu déformé)… Quelle drôle d’expérience : parfaitement compatible avec le propos de ce texte imparfait, qui fut donc écrit sans IA et qui vous donnera – je l’espère – une image nuancée de mon expérience de pensée, qui puisse vous aider à développer la vôtre ! 🙂

Pour télécharger l’image-récap ci-dessous, cliquez sur : FICHE-RECAP

Images dans le texte créées avec Freepik® et Powerpoint®.

Pour lire d’autres articles qui peuvent être liés à celui-ci :

* Article sur les Représentations : https://www.estellejoguet-psychologue.fr/index.php/2023/12/30/les-representations-entre-le-visible-et-linvisible/

* Article sur la Bienveillance : https://www.estellejoguet-psychologue.fr/index.php/2022/02/21/bienveillance-quelques-reflexions/

* Article sur l’Empathie : https://www.estellejoguet-psychologue.fr/index.php/2024/12/30/empathie/

* Article sur l’Ego : https://www.estellejoguet-psychologue.fr/index.php/2017/09/08/lego-piece-deux-facettes/