Témoignage de Petite Loutre, qui nous partage comment faire de la colère « un moteur, une force. Le fait de la rendre publique m’oblige à la réfléchir, l’organiser. »
Merci Petite Loutre 🙏
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Quand j’ai reçu mon diagnostic d’autisme, au-delà du soulagement de se comprendre enfin mieux, mon premier ressenti a été la colère.
D’abord pour moi-même : Toutes ces années vécues en me dévalorisant sans cesse (et en étant dévalorisée par la société) auraient pu être évitées si j’avais eu les clés. Toutes ces années de psychothérapies qui n’aboutissaient à rien. Toutes ces années à tenter d’avoir une place, au boulot, en famille, sans jamais réussir. Toutes ces années d’errance sociale. Les burn out, les dépressions, les hospitalisations, pour ne jamais comprendre le fond du problème.
Mais j’étais aussi en colère pour les autres : Dans les aléas de mon parcours diagnostic, j’ai croisé de nombreuses personnes victimes, comme moi, du manque d’accès au diagnostic d’autisme. Ainsi qu’à d’autres diagnostics. En errance face à leur santé mentale, et parfois physique. Parce que ces personnes sont des femmes, des personnes queers, des personnes grosses, racisées, précarisées, éloignées d’une manière ou d’une autre du système de soin.
J’étais en colère, et je ne savais que faire de cette colère qui n’en finissait plus de s’étendre.
Je ne sais pas exprimer mon empathie comme la société l’attend. Dire à quelqu’un “je compatis, je te soutiens” n’a rien de naturel pour moi. Pas parce que je m’en fous, juste parce que ce n’est pas mon réflexe. J’ai dû apprendre que ces mots sont utiles et importants, j’essaye de m’en souvenir, de les utiliser quand ça me semble nécessaire (mais ce n’est pas toujours une réussite).
Mon réflexe, c’est le trouvage de solutions. Si j’apprends que quelqu’un ne va pas bien, j’essaye de comprendre pourquoi, et de trouver des pistes qui pourraient peut-être l’aider. Parfois, ça ne correspond pas du tout à ce qu’on attend de moi, mais ça aussi, j’ai mis du temps à le comprendre.
A ce stade, il n’y avait pas grand chose à faire pour mon propre parcours :
cette colère-là, j’allais devoir apprendre à vivre avec. Mais pour les autres, est ce que je pouvais trouver une solution ?
Non, bien sûr, c’est beaucoup trop complexe, il n’existe pas de réponse simple à cette problématique. Il n’existe surtout pas de réponse accessible : l’errance diagnostique, et plus globalement les maltraitances médicales, font partie d’un ensemble bien plus grand que nous, citoyen·nes lambda que nous sommes. Un ensemble fait de discriminations diverses, de préjugés, un ensemble qui relève de l’organisation de nos sociétés.
Je n’avais ni la prétention ni les capacités de m’attaquer à tout ça.
J’avais d’autres capacités : la compilation de données, la synthèse et la rédaction. J’ai mis pas mal de temps à comprendre que je pouvais les extraire de leur carcan professionnel pour m’en servir autrement, que je n’étais pas moins légitime qu’un·e autre à produire quelque chose.
La légitimité ne se situe pas dans la perfection, mais dans l’expression.
C’est difficile à admettre quand on a souvent été rejetée, mais on a le droit de se chercher, d’évoluer, de se planter, de revenir en arrière, de bricoler un peu pour trouver mieux.
C’est comme ça qu’est né le blog que je tiens maintenant depuis 2021. Petit à petit, j’y trouve quoi faire de ma colère. A travers des détails du quotidien, à travers les besoins exprimés de mes adelphes autistes, à travers mes propres réflexions, j’essaye d’y écrire ce que je pense être des amorces de solutions.
Je suis toujours en colère, mais cette colère n’est plus stérile. C’est un moteur, une force. Le fait de la rendre publique m’oblige à la réfléchir, l’organiser. A rendre lisible mon empathie (si peu conventionnelle soit-elle) et mon approche de ce qui pourrait aider d’autres personnes. Pas dans le but de tout solutionner, mais de rendre certains chemins plus praticables. D’y apporter un peu de lumière, que chacun·e peut choisir d’emmener avec soi, ou pas.
Pour rendre cette lumière utilisable, j’ai dû sortir de mes représentations personnelles, pour mieux comprendre les besoins d’autres personnes. J’ai dû améliorer mes compétences, et en travailler d’autres que je ne maîtrisais que peu. J’ai beaucoup appris, et j’ai encore beaucoup à apprendre. C’est mon propre chemin, avec ses embûches et ses découvertes. Il m’arrive de marcher sous la pluie, comme d’entrevoir des paysages magnifiques.
Parfois, on me remercie, et c’est toujours chouette d’avoir ce genre de retour. Mais pour être honnête, la première personne que j’aide avec ce travail, c’est moi. Faire de mon propre chemin une piste plus confortable passe par la rentabilisation de ma colère.
Aujourd’hui, le résultat de tout ceci me dépasse un peu. Jamais je n’aurais cru que recevoir mon diagnostic d’autisme aurait un effet qui dépasserait mon cercle de proches. J’ai encore du mal à admettre que c’est une réalité, et c’est pourtant mon quotidien. Ma colère est devenue une base de données organisée, un site internet proposant de multiples ressources, des supports à télécharger, un serveur discord d’échange entre pair·es.
Tout ceci est perfectible, mais c’est mon chemin, et je l’apprécie pour ce qu’il est : les errances d’une autiste dans un monde qui l’a mise en colère.
Retrouvez Petite Loutre sur internet : https://leblogdepetiteloutre.com/
Merci sincèrement pour votre témoignage.
Les « handicapes invisibles » sont si difficiles à comprendre, à admettre par nous dans un premier temps et que dire des personnes qui nous entourent.
Nous en sommes parfois en colère, parfois angoissés, souvent seuls à nous débattre.
Il faut se connaître, admettre, assimiler. Ensuite faire avec, en faire un atout mais ne jamais oublier que nous sommes différents de codes sociétaux classiques.
Et j’en suis convaincu, je dis aux autres ce qui de moi ne se voit pas. Ils feront avec peut être pas mais au moins je suis en phase avec moi.
Bonjour Pascal,
Merci beaucoup pour votre commentaire, que je vais transmettre à Petite Loutre 🙂
J’espère que vous allez bien.
Bien à vous, Estelle